En 1952, la théorie du portefeuille d’Harry Markowitz partait de l’hypothèse importante selon laquelle les investisseurs ont une aversion pour le risque, c’est-à-dire qu’entre deux actifs offrant le même rendement espéré, ils opteront toujours pour le moins volatil. Sa théorie a également introduit le concept de diversification comme une « passe gratuite » : un portefeuille diversifié peut produire, avec moins de volatilité, le même rendement espéré qu’un portefeuille concentré. Dans cet article, je contesterai cette notion et soutiendrai que la diversification a un coût que les investisseurs doivent comprendre pour prendre des décisions éclairées concernant leur stratégie de portefeuille.
Dans les années 1960, Bill Sharpe et d’autres universitaires ont créé le modèle d’évaluation des actifs financiers (« CAPM » ou « Capital asset Pricing Model » en anglais), qui se distingue par sa simplicité et son élégance dans l’estimation des rendements espérés des titres.
Selon le CAPM, la volatilité est composée de deux types de risques : le risque spécifique au titre et le risque de marché. Le risque du portefeuille peut être diminué en combinant des titres imparfaitement corrélés. Étant donné que le risque spécifique à un titre peut être éliminé grâce à la diversification, le seul risque qui devrait avoir une incidence sur les rendements espérés est le risque de marché.
En termes simples, le CAPM affirme que le rendement excédentaire attendu d’un actif (au-dessus du taux d’intérêt « sans risque ») est uniquement déterminé par son « bêta » ou sa sensibilité au rendement du marché. À titre d’exemple, une action avec un bêta de 1,5 devrait générer un rendement excédentaire correspondant à 1,5 fois celui du marché.
Au cours des années 1970, les universitaires ont avancé une autre proposition : les rendements excédentaires espérés sont déterminés par de multiples facteurs plutôt que par le seul bêta. Le CAPM intertemporel (ICAPM, Merton, 1973) et la théorie de l’arbitrage des prix (APT, Ross, 1976) soutiennent que tous les investisseurs ne partagent pas une même obsession pour le bêta, mais qu’ils peuvent également être sensibles à d’autres variables ou « facteurs ». Alors qu’à l’époque l’ICAPM et l’APT ne précisaient pas quels étaient ces facteurs, Fama et French (1992) ont réalisé une étude empirique suggérant deux facteurs à ajouter au bêta : les actions de valeur et les actions à petite capitalisation ont des rendements espérés supérieurs à ceux des actions de croissance et des actions à grande capitalisation. Le modèle Fama-French à trois facteurs et son successeur le modèle à cinq facteurs (2015; marché, valeur, taille, rentabilité et investissement) étaient nés.
Le modèle Fama-French à cinq facteurs a identifié certains types d’actions très volatiles et offrant des rendements espérés extrêmement faibles, comme les actions combinant petite capitalisation, croissance et faible rentabilité. L’existence même de ces titres aux très mauvaises caractéristiques d’investissement soulève une question légitime : pourquoi ces titres trouvent-ils preneur? Ces actions dites « de loterie » sont-elles acquises par des investisseurs irrationnels?
Une autre théorie lancée dans les années 1970 suggère que le risque – tel que mesuré par la volatilité – pourrait influencer les rendements espérés de manière positive plutôt que négative.
Black et Scholes (1973) ont suggéré, dans un article fondateur, que dans une société financée par emprunt et par capitaux propres, détenir les capitaux propres revient à détenir une option d’achat sur les actifs de l’entreprise. Imaginez une entreprise dont les actifs valent 100 $, et qui sont financés par une obligation à un an d’une valeur de 35 $ et 65 $ en actions. À l’échéance de l’obligation, les actionnaires peuvent exercer leur option (payer 35 $ pour rembourser l’obligataire), tout comme les détenteurs d’une option d’achat paieraient le prix d’exercice à l’échéance pour acquérir l’actif sous-jacent.
Les modèles d’évaluation des options, qui fonctionnent bien dans la pratique, stipulent que plus la volatilité de l’actif sous-jacent est élevée, plus la valeur de l’option est élevée. Remplacer le mot « option » par « actions » signifie que, selon la théorie de l’évaluation des options, une volatilité plus élevée se traduit par une valeur des actions plus élevée. Étant donné que les prix des actifs et les rendements espérés sont inversement liés, une volatilité plus élevée entraîne des rendements espérés plus faibles, et non plus élevés.
Pour résumer, le CAPM affirme que la volatilité et les rendements espérés sont positivement corrélés, tandis que la théorie de l’évaluation des options dit exactement le contraire. Cependant, je pense que les modèles multifactoriels, tels que le modèle à cinq facteurs de Fama-French, réconcilient ces points de vue contradictoires.
La théorie de l’évaluation des options et les modèles multifactoriels d’évaluation des actifs nous disent que les acheteurs d’« actifs spéculatifs » ou d’« actions de loterie » ne sont ni stupides ni irrationnels. Ce sont des investisseurs à la recherche de risques qui ne se soucient peut-être même pas des rendements espérés. Ce qui les intéresse, c’est la possibilité de rendements extrêmement élevés, ce qui est très différent. Les portefeuilles largement diversifiés conviennent aux investisseurs à long terme qui cherchent à créer un patrimoine lentement mais sûrement et à gérer les risques de manière rigoureuse. Les portefeuilles concentrés, en particulier lorsqu’ils détiennent des actions volatiles, sont destinés à ceux qui cherchent à multiplier leur richesse rapidement, ou à multiplier leur richesse dans une bien plus grande mesure à long terme. Ils poursuivent cette stratégie malgré sa forte probabilité d’échec pour se donner une chance de devenir extrêmement riches, comme les acheteurs de billets de loterie.
Tout a un prix. Si vous souhaitez bâtir un patrimoine important patiemment et méthodiquement, avec des chances de succès élevées, un portefeuille diversifié est ce dont vous avez besoin. Si vous cherchez à créer une fortune spectaculaire, un portefeuille concentré est un choix légitime. Mais attention, il y a de fortes chances que vous finissiez bien plus pauvre qu’un investisseur méthodique.
Alors, quel genre d’investisseur êtes-vous?