Le marché baissier actuel est très particulier. La pandémie mondiale de coronavirus a stoppé l’activité de grands pans de l’économie. Certains économistes prévoient une baisse du PIB américain de 25 % (en données annualisées) pour le deuxième trimestre – mais ils prévoient aussi un rebond vigoureux une fois que la crise sera passée et que les gens retourneront au travail. Bien que la volatilité présente dans les marchés nous rappelle 2008, la crise actuelle trouve sa source dans l’économie réelle. Les grands titres sont alarmants et les valeurs boursières chutent abruptement pour rebondir le lendemain et rechuter ensuite dans un cycle chaotique. Pour discerner la voie du bon sens en gestion de portefeuille, il est utile de s’attarder aux facteurs qui influencent le recul des cours.
Tout d’abord, la crise modifie la situation des émetteurs de titres de plusieurs manières. Les bénéfices des sociétés vont diminuer pendant un certain temps, même si l’ampleur de cette diminution est inconnue. Comme en 2008-2009, de nombreuses sociétés réduiront ou suspendront leurs dividendes. Plusieurs auront de la difficulté à assurer les paiements d’intérêt sur leurs obligations. Finalement, les gouvernements devront émettre une quantité impressionnante de nouvelles obligations pour financer leurs plans de sauvetage de l’économie. Cette augmentation de l’offre d’obligations gouvernementales pourrait faire pression sur leurs prix.
Deuxièmement, la valeur des titres est frappée par un étranglement du crédit, puisque le flux des revenus de nombreux travailleurs et entreprises est interrompu. Cela explique pourquoi les programmes de sauvetage des gouvernements et les injections de liquidités des banques centrales sont si importants : ils visent à remplacer le flux de liquidités que fournit normalement l’activité économique. Ces mesures mettent généralement du temps avant de porter leurs fruits. Pendant ce temps, les particuliers et les entreprises ont besoin d’argent pour survivre et cet argent, ils le trouvent en vendant des titres[i]. C’est pourquoi lors de la première semaine complète de la crise, les FNB d’obligations aux États-Unis – en particulier les FNB d’obligations de qualité – ont subi d’importantes sorties de fonds, de l’ordre de 19 milliards de dollars : les particuliers et les entreprises ont besoin de liquidités, maintenant.
Finalement, un troisième élément contribue à la chute des cours : le niveau élevé d’incertitude. Personne ne sait combien de temps il faudra pour résoudre la crise sanitaire, quelle sera l’efficacité des programmes d’urgence gouvernementaux, ni dans quelle mesure la crise causera des dommages à l’économie. Par conséquent, certains investisseurs sont acheteurs, mais seulement au rabais. Cela explique pourquoi les crises du marché sont presque invariablement suivies d’un vigoureux redressement : une fois l’incertitude dissipée, les prix se recentrent sur les fondamentaux et les rabais disparaissent.
Je suis conscient que cette description peut sembler pessimiste, mais pensons-y un instant. L’étranglement de crédit ne durera pas éternellement : il a été démontré à maintes reprises que les banques centrales sont capables de relancer le crédit en injectant des liquidités massives dans l’économie. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’accès au crédit se rétablisse et que les liquidations d’obligations cessent. Il en va de même pour l’incertitude : avec le temps, les conséquences de la pandémie deviendront plus claires et le degré d’incertitude retournera à la normale. Il restera à composer avec les effets à long terme de la crise sur les bénéfices des sociétés, la solvabilité des emprunteurs et l’offre d’obligations gouvernementales.
Pour résumer, les investisseurs qui liquident leurs placements lors des crises du marché vendent au rabais alors que la dépréciation des titres est en grande partie explicable par des facteurs temporaires. C’est pourquoi je suis d’avis que liquider en temps de crise est désastreux pour le rendement à long terme.
[i] Ils obtiennent également des liquidités en empruntant via leur marge de crédit. Afin de pourvoir à ces emprunts, les banques doivent elles-mêmes vendre des titres.